mercredi 14 juin 2017

Ainsi va la vie

Bonjour chers lecteurs !
Je vous fais aujourd'hui part d'une vieille nouvelle que j'ai écrite en 2013, dans ma tendre adolescence... c'est la première nouvelle que j'ai écrite, je vous prie donc de bien vouloir excuser la simplicité avec laquelle ces lignes sont écrites ! J'ai préféré ne rien retoucher et publier le texte original tel que je l'ai écrit à l'époque. Bonne lecture ! 😊



Par une chaude soirée de juin, j’ai retrouvé une boîte dans laquelle se trouvaient des dizaines de lettres. Curieuse, je voulus les lire. Bien qu’aucun des destinataires ne soit mentionné, j’ai estimé qu’une fois assemblées, ces lettres pourraient construire une belle histoire.    
        

LETTRE 1 – JADE A …      

Voilà déjà deux mois que mes parents sont divorcés, et je n'ai encore pas pris le temps de t'expliquer ce qu'il s'est passé. J'étais trop occupée entre les répétitions pour le concert de mon groupe de rock et les révisions du brevet.
En tout cas, ça nous fait autant du bien à Maman, à Eleanor et à moi de ne plus avoir papa sur le dos. Il devient insupportable.      
La première fois, ça s'est passé en avril : papa est rentré du travail très tard, mais nous ne nous sommes pas posé de question. C'est le lendemain, lorsque maman a fait la lessive et qu'elle a retrouvé plusieurs préservatifs dans la poche de papa, qu'elle a commencé à s'interroger. Elle s'est abstenue d'en parler un certain temps, mais lorsqu'elle est tombée sur une sextape de papa et de sa secrétaire, ça a fait un scandale à la maison ! C'est vrai que papa était étrange ces temps-ci, mais jamais Eleanor, maman et moi, ne nous serions doutées de quoi que ce soit ! Je trouve que c'est vraiment dégueulasse ce que papa a fait à maman, je ne lui pardonnerai pas.        
Bon, je dois te laisser. Il faut que j'aille à la répétition du groupe. Le concert aura lieu dans moins d'une semaine, il faut vraiment que je travaille !        

                                                                                                         8 octobre 2012  

LETTRE 2 – ELEANOR A …       

Voilà déjà deux mois que je ne fais que te parler du divorce... alors, cette fois, je ferai court sur ce sujet.     
Je crois que je vis mieux que Jade la séparation de nos parents. C'est peut être parce qu'elle a trois ans de moins que moi, elle est donc plus sensible. Je lui ai conseillé de trouver quelque chose qui l'aiderait à oublier tout ça. Elle a choisi la musique. C'est vrai que c'est quelque chose qu'elle aime énormément, elle a un vrai talent pour ça. Et puis, pendant ce dernier mois, je la sentais plus calme que d'ordinaire. Mais depuis le début de la semaine, elle est constamment nerveuse, sûrement à cause du concert qui approche. 
Quant à moi, c'est l'écriture qui me fait du bien. C'est probablement pour ça que je t'ai autant écrit pendant ces deux derniers mois. Il y a aussi la compagnie de mon meilleur ami, Mathieu, qui m'aide beaucoup pendant cette épreuve. Il est vraiment adorable.    

                                                                                                       11 octobre 2012  


LETTRE 3 – JADE A …

Je t'écris très vite avant de partir, le concert est ce soir et j'ai une dernière répétition dans vingt minutes. J'appréhende énormément, j'ai mal au ventre, mais je sais que ça se passera bien, on a vraiment beaucoup travaillé avec le groupe. Ce qui me met le plus la pression, c'est de ne pas savoir qui assistera à notre concert, et surtout, combien de spectateurs seront présents.   
Bon, je file ! Je fais un bisou à maman et Eleanor, je les retrouverai ce soir, puis je te raconterai demain matin comment ça s'est passé.     

                                                                                                      13 octobre 2012 
  
LETTRE 4 – ELEANOR A …       

Chère amie,         
Je suis bouleversée, désespérée, abattue, effondrée. Je ne sais pas comment t'expliquer ça, rien ne pouvait arriver de pire.     
Hier soir, au concert, pendant l'un des solos à la guitare de Jade, une énorme barre métallique s'est détachée du plafond.       
Tout le public était en panique, la majorité est sortie pour ne pas voir l'atroce scène qui s'offrait à nous. Certains étaient en pleurs, d’autres hurlaient, et moi, je criais devant le corps écrasé, démembré et sanglant sur la scène.        
Celui de ma sœur.        
Transpercé par le métal. Je n'arrive pas à me dire que Jade est morte. Le pire pour ma mère et moi, c'est de penser que nous l'avons vue mourir. Son corps était là, juste sous nos yeux.
Je n'ose en décrire plus. Ça me fait trop de mal.

                                                                                                       14 octobre 2012


LETTRE 5 – MATHIEU A …

Mon bien-aimé cousin, 
Je vais te faire part d'une malheureuse nouvelle. La sœur d'Eleanor est morte hier, à cause d'un accident.  Mon amie m'a appelé tout à l'heure pour me faire part de cet horrible drame. Je ne connaissais pas beaucoup Jade, mais elle avait tout l'air d'une sœur géniale. Je me sens vraiment mal depuis que j'ai appris ce décès. Je vais aller donner mon soutien à la famille dès que j'aurai fini cette lettre.     
Après la mauvaise nouvelle, en voici une meilleure : notre chat a donné naissance à deux petits chatons ce matin ! J’ai pensé à en offrir un à Eleanor, peut-être que ça lui redonnerait un peu le sourire. Je sais combien mon amie aimait sa sœur, alors je me suis dit que lui offrir un petit cadeau pourrait l’aider à faire son deuil.  
Et puis, Eleanor est vraiment une fille géniale qui mérite que l'on s'occupe bien d'elle. J'avais prévu de lui dévoiler mes sentiments ces jours-ci, mais j’attendrai qu’elle soit prête à accepter le tragique événement dont je t’ai parlé…

                                                                                                      14 octobre 2012 
LETTRE 6 – ELEANOR A …       
  
Ma vieille amie,   

Voilà deux jours que j'essaye d'accepter le décès de ma sœur, mais j'ai l'impression que ça dure depuis une éternité. Je crois que je vais mettre des années à l’accepter, mais je ne veux pas que ça soit aussi long. J'ai beaucoup de choses à faire, notamment le bac à préparer. Seulement, je ne me vois pas vivre sans ma sœur, nous étions vraiment proches, complices. Elle était ma protégée et j'étais sa confidente. Demain aura lieu l'enterrement de Jade. J'espère y retrouver tante Sophie, mais aussi papa. Peut-être que je lui en veux à papa, depuis ce qu'il a fait avec sa secrétaire. Mais il reste malgré tout mon père, dont nous n'avons d'ailleurs eu que trop peu de nouvelles depuis deux mois.
Si je continue à parler de ça, je crois que je vais pleurer toutes les larmes de mon corps, alors je vais changer de sujet. Mathieu est passé nous voir hier, il m'a un peu redonné le moral, et à maman aussi je crois. Ça fait vraiment du bien d'avoir du soutien de quelqu'un à qui on tient autant. Il m'a d'ailleurs fait un cadeau qui m'a immédiatement redonné le sourire : un petit chaton, adorable. Il est blanc avec deux taches grises, j'ai décidé de l'appeler Mathy ! Je sens qu'il y a déjà une complicité incroyable entre le chaton et moi, c'est comme s'il comprenait ma souffrance. Je trouve ça vraiment étrange d’ailleurs…

                                                                                                    16 octobre 2012


LETTRE 7 – HELENE A … 

Chère sœur,         

Je me rends compte que la dernière fois que je t'ai écrit, j'avais 39 ans. Nous avons un peu coupé les ponts, mais j’ai repensé à certains moments que nous avons passés ensemble pendant notre enfance, alors j’ai décidé de prendre de tes nouvelles et de te donner des miennes. 
J'avais oublié à quel point ça faisait du bien de se confier à quelqu'un. Pour ma part, ça me libère, et je me sens toujours mieux après. C'est pour ça que j'ai décidé de t'écrire aujourd'hui.
Pendant ces quatre ans où je ne t'ai pas écrit, mes filles ont bien grandi. Mais il s'est passé beaucoup de choses, surtout cette année. Tout d'abord, l'année dernière Eleanor a rencontré un jeune garçon de son âge, qui est au lycée privé de la ville. Ils sont vite devenus amis, je vois qu'ils se comprennent bien tous les deux. Quant à Jade... elle a appris à jouer de la guitare et un peu de piano. Nous avons aussi découvert sa magnifique voix. Il y a deux ans, elle a formé un groupe de rock avec quatre de ses amis, et la semaine dernière, le groupe a donné un concert devant toute la ville. C’est ce soir-là que j’ai perdu pour toujours ma fille dans un tragique accident, mais il est trop compliqué pour moi d’en parler…
Je préfère te parler d’autre chose : cela fait un peu plus de deux mois qu’Eric et moi avons divorcé. Ce salaud a fait des choses dont je ne l'aurais jamais cru capable.       
Hier a eu lieu… l'enterrement de ma fille. Je n'ai jamais vu autant de gens en larmes pour quelqu'un. Tous ses amis étaient là, et toute la famille était venue... à part Eric. Il est quand même le père de Jade, il aurait pu venir lui dire un dernier adieu ! Mais non, cet imbécile n'a pas de cœur. En même temps, j'étais bien contente de ne pas le revoir.   

                                                                                               18 octobre 2012


LETTRE 8 – ERIC A …    
   

Salut maman,      

J'ai appris que Jade est morte la semaine dernière. Helene et Eleanor ne font que pleurer. Mais des gens meurent tous les jours, c'est totalement ridicule de pleurer pour ça ! Et puis au moins, je ne recevrai plus de sms de Jade qui me demande si je vais à tel concert, ou si tel producteur m'a contacté récemment, etc. Elle me cassait vraiment les couilles avec ça.       
Quant à Eleanor, cette adolescente dépourvue ce cerveau... elle a intérêt à bien travailler. Si elle ne devient pas avocate comme je le lui ai demandé, elle le regrettera.      
C'est vrai quoi, on ne vit pas d'un métier artistique. Cette abrutie veut devenir écrivain. Et puis quoi encore ?       

                                                                                               20 octobre 2012


LETTRE 9 – ELEANOR A …        
Depuis l'enterrement de ma sœur, je me sens beaucoup mieux. Je ne suis certes pas heureuse comme je l'étais avant, mais je me sens comme rassurée de savoir son âme reposer au dessus de nos têtes.         
Mathieu passe souvent me voir ces jours-ci. Il s'inquiète énormément pour moi, je trouve ça adorable. Quant à son petit cadeau de l'autre jour, j'en prends énormément soin. Ce chat est vraiment magnifique, et il me tient tout le temps compagnie, je me sens vraiment proche de lui, tout comme j'étais proche de Jade. Je trouve qu'ils se ressemblent beaucoup tous les deux. Mathy voit quand je vais mal, et vient se frotter contre le dos de ma main pour me consoler. Ma sœur avait aussi cette faculté à voir lorsque j'étais triste : elle me prenait également la main, comme pour me rassurer. J'ai expliqué ça à Mathieu l'autre jour, et il pense que ce n'est pas qu'un simple hasard. Il a toujours cru en la réincarnation, mais moi je trouve ça absurde, et impossible.
Au fait, mon ami commence à avoir de petits projets en tête pour son futur. Il dit qu'il aimerait vraiment devenir comédien. C'est une passion qu'il a depuis tout petit. Il fait du théâtre depuis ses huit ans je crois, et il a vraiment un talent fou ! Je crois qu'il est sur la bonne voie, et ça me rend heureuse de le savoir plein d'avenir. Ce que je crains, c’est qu’après avoir le bac, nous perdions contact et finissions par nous oublier.

                                                                                               24 octobre 2012


 LETTRE 10 – HELENE A …       

Chère sœur,        
Je t'écris aujourd'hui simplement pour te dire que depuis l'enterrement de ma fille, je me sens encore moins bien qu'avant. J'ai parfois des vertiges, et l'impression d'être malade de son absence. Je ne suis pas certaine de pouvoir tenir le coup, mon moral est au plus bas. Je ne peux pas le décrire en quelques lignes, mais mon état me fait presque pitié. C’est comme si j’étais au fond d’un gouffre, incapable de remonter la pente à cause d’énormes rochers qui tombent sur moi de jour en jour, jusqu’à anéantir le peu de joie qu’il me reste.        

                                                                                                   27 octobre 2012
LETTRE 11 – MATHIEU A …      

Mon cher cousin,
Eleanor est vraiment incroyable. Un mois après le tragique accident, elle arrive à surmonter sa tristesse. Cela lui prenait souvent d'éclater en sanglots d'une seconde à l'autre, mais elle parvient maintenant à se contrôler et à retrouver le sourire. Pourtant, Dieu sait combien elle aimait sa sœur... 
Tout à l'heure, je l'ai invitée à venir manger à la maison avec sa mère. Mais ça ne s'est pas tellement bien passé. A vrai dire, nos mères ne s'entendent pas du tout, on dirait même qu'elles se haïssent. Au beau milieu du repas, elles ont commencé à se crier dessus et à s'insulter de tous les noms, j'ignore pour quelle raison.        
Mon amie ne voulait pas rentrer chez elle ce soir, elle est alors restée chez moi pour cette nuit. Elle ne fait qu'écrire depuis tout à l'heure, alors je me suis dit que j'allais faire de même. J'essayerai de lui dévoiler mes sentiments tout à l'heure, mais j'ai vraiment peur de sa réaction. Je te raconterai.  

                                                                                            18 novembre 2012
LETTRE 12 – ELEANOR A …     

Ma chère amie,
Voilà une heure que je ne fais qu’écrire, mais cela me fait un bien fou. Ma mère me fait vraiment honte parfois, mais d'un côté, je comprends qu'elle se soit énervée tout à l'heure, car d'une part, elle n'a toujours pas accepté le décès, et d'autre part, elle se sent mal depuis quelques temps. Je reviendrai à la maison demain, le temps qu'elle se calme et qu'elle comprenne que sa façon d'avoir réagi m'a blessée.     
Je suis contente de rester chez Mathieu pour cette nuit, je pense que ça me videra un peu l'esprit. Et puis la compagnie d'un ami ne peut être que positive. J'espère seulement qu'à la fin de l'année, je garderai contact avec Mathieu. Ça me ferait trop mal que nos chemins se séparent. Il m'a beaucoup aidée depuis que je le connais, et je ne veux pas que ça s'arrête.

J'irai sûrement en fac de Lettres, si mes résultats me le permettent. Quant à mon ami, il voudrait faire une école de théâtre. Je sais que les places sont très rares, alors si Mathieu a la chance de pouvoir y aller, je serais vraiment heureuse pour lui.    

                                                                                           18 novembre 2012 

LETTRE 13 – HELENE A …        

Je ne sais pas par quel moyen, mais Éric a appris qu'Eleanor n'était pas à la maison cette nuit. Il en a donc profité pour passer me voir, et comme je suis trop gentille, je l'ai laissée rentrer. Nous avons discuté quelques secondes à peine, puis il a cherché à me charmer. J'étais effrayée, il a tenté de me déshabiller et… de me violer. Mais je ne me suis, bien sûr, pas laissée faire, et l'ai repoussé du mieux que j'ai pu. Cependant, je n'arrivais pas à le faire partir. C'est alors que Mathy, le chaton d'Eleanor, est arrivé et a sauté sur Eric, en le griffant partout où ce fut possible. J'ignore comment le chaton a fait pour savoir que j'avais besoin d'aide, mais je le remercie pleinement. Parfois, j’ai l’impression que l’animal comprend ce que nous ressentons, c’est vraiment un chat intelligent.   
Eric est finalement parti, en lançant un regard mauvais à Mathy, et un regard vengeur et pervers dans ma direction.    
Cet homme est encore plus inhumain que je ne le pensais.   

                                                                                        18 novembre 2012    

LETTRE 14 – ERIC A …     

Hé,
J'en ai une bonne à te raconter. J'avais une énorme envie de baiser hier, alors la première idée qui m'est venue en tête, c'était d'aller voir Hélène. Cette cochonne m'a laissé rentrer chez elle, comme si de rien n'était, mais ne pouvant plus attendre, je lui ai immédiatement sauté dessus.   J'ai déboutonné sauvagement sa chemise, lui ai dégrafé le soutif en deux temps, trois mouvements, puis j'ai commencé à lui malaxer ses seins brûlants d'excitation. Cette tigresse essayait de se débattre, ce qui m'a d'autant plus excité. Je hurlais déjà de bonheur, alors j'ai tenté de lui enlever ce foutu jean, mais elle m'a repoussé en me traitant de pervers, et son maudit chat m'a griffé la jambe. Ah, si elle savait à quel point j'avais envie de ça, depuis longtemps en plus.       
Je pense retourner chez la chaudasse d'ici quelques heures, je veux finir mon travail avec elle, et me la retaper pour de bon. Quoi ? J'aime le sexe, c'est tellement bon.

                                                                                               19 novembre 2012      

LETTRE 15 – MATHIEU A …
Eleanor est vraiment mignonne quand elle dort, je pourrais l'admirer ainsi pendant des heures entières.     
Hier, je voulais absolument lui dévoiler mes sentiments, mais une fois de plus, je n'ai pas osé. J'ai trop peur qu'elle le prenne mal et qu'elle s'éloigne de moi... Mais d'un autre côté, j'ai tellement envie de savoir si c'est un sentiment réciproque.   
Cette nuit encore, j'ai rêvé que je passais toute ma vie avec elle. Notre mariage était magnifique, et nous avions trois adorables enfants. Nos familles s'entendaient à merveille, et nous étions ensemble, et heureux.    Malheureusement, la réalité est bien différente de cela, ce qui m'attriste bien plus que l'on ne pourrait imaginer.
Je voudrais tellement qu'elle sache à quel point je l'aime, qu'elle sache que jamais je ne suis si heureux qu'en sa présence, qu'elle sache toutes les merveilles que je ressens en la voyant…        

                                                                                      
19 novembre 2012
LETTRE 16 – ELEANOR A …

Ma chère amie, tu ne devineras jamais quoi !     

Ce matin, en me réveillant, j’ai vu que Mathieu n’était pas dans sa chambre, il devait être sous la douche. Mais peu importe, mes yeux sont tombés sur une lettre posée sur son bureau, et j’ai vu qu’elle contenait mon nom. Peut-être trop curieuse, j’ai voulu voir de quoi la lettre parlait et j’ai découvert ce que mon ami avait écrit à mon sujet.      
Mathieu a des sentiments pour moi !        
Jamais je n’aurais pensé qu’il ressentait autre chose que de l’amitié à mon égard, je suis totalement stupide de ne pas m’en être rendue compte avant, c’était pourtant flagrant. Suite à cette nouvelle, je n’ai pas vraiment su comment réagir. Mais comme Mathieu n’était pas encore revenu dans la chambre, j’en ai profité, avant de rentrer chez moi, pour lui écrire un petit mot, expliquant simplement que j’aimerais qu’on en parle face à face la prochaine fois qu’on se verra. Seulement, je ne me vois vraiment pas tomber amoureuse de lui. C’est un garçon adorable, mais il ne sera jamais plus qu’un ami.       
Il y a également quelque chose d’autre dont je voudrais te parler, mais c’est un peu plus gênant… quand je suis rentrée chez moi, j’ai découvert ma mère presque entièrement dénudée dans le salon, avec un homme. J’ai poussé un cri de stupeur. L’homme s’est alors retourné.
C’était mon père.
Je ne comprenais pas ce que je voyais. Je voulais savoir pourquoi ma mère était avec lui dans une telle position, pourquoi papa était revenu ici voir maman. A cet instant, une avalanche de questions est apparue dans ma tête. Est-ce que maman avait encore des sentiments ? Est-ce qu’elle avait accepté de le laisser rentrer, ou est-ce que papa l’avait forcée ? Maman avait-elle songé à ce que Jade pensait en ce moment même ? Mais aucune question ne sortait de ma bouche, cette situation me répugnait, alors la seule chose que j’ai pu faire fut de sortir de cette pièce le plus vite possible.      
Enfermée dans ma chambre, j’avais besoin de Mathy pour me consoler, mais mon petit chat demeurait introuvable. 
Ce n’est que quelques heures plus tard que maman est arrivée dans ma chambre, faible, et m’a expliqué ce qu’il s’était passé.         

                                                                                   20 novembre 2012          


LETTRE 17 – ERIC A …      

J’ai enfin réussi à faire ce que je voulais avec la chaudasse. Je me suis vidé, tu n’imagines même pas à quel point. Cette fois, son idiot de chat ne m’a pas emmerdé, je l’ai enfermé dans un placard le temps que je me soulage.     
J’ai rarement pris autant de plaisir lors d’un acte sexuel. Même avec ma secrétaire, ce n’est pas aussi bon. Hélène ne se laissait pas faire, ça m’excitait encore plus. C’est pas une femme facile, je pense que c’est pour ça que j’avais réellement envie d’achever mon travail avec elle.
Hmm…  que c’était bon ! Je lui ai agrippé ses deux fesses bien rondes, l’ai plaquée contre un mur et l’ai déshabillée en quelques secondes. J’ai cru que les murs de la maison allaient s’effondrer !
Mais maintenant, je pense que cette cochonne ne m’est plus d’aucune utilité, elle a donné tout ce qu’elle avait. Enfin, je lui ai plutôt pris toute son énergie, jusqu’à ce qu’elle tombe, épuisée.
Dommage que l’autre morveuse ait débarqué à ce moment là. T’aurais dû voir sa tronche quand elle a vu son père avec son imbécile de mère !   

                                                                                         21 novembre 2012

LETTRE 18 – HELENE A …        

Cette lettre est probablement la dernière que je t’adresserai. Arrive toujours le moment où on doit quitter le monde. Je suis faible, moralement et physiquement, et je ne pense pas pouvoir tenir bien longtemps encore en vie.   Tu te rappelles ? Il y a quelques temps, je te disais que j’étais au fond du gouffre, et que des rochers me tombaient dessus de jour en jour. J’ai l’impression que ce gouffre n’a pas de fond clairement défini, et que les rochers essayent de me faire descendre encore plus bas. Je n’ai même plus besoin d’un seul rocher pour mourir, j’agonise, je me décompose, et finirai par partir rejoindre Jade.    
J’ignore si c’est la fatigue, la maladie, le malheur ou encore la tristesse qui m’emportera, mais peu importe, je suis persuadée que je ne tiendrai pas le coup. Je n’ai pas la force de parler de tout cela à Eleanor, alors si tu as le courage de lui raconter un jour tout ce que je t’ai dit, je t’en serais extrêmement reconnaissante. S’il-te-plait, occupe-toi d’elle tant qu’elle aura besoin de quelqu’un pour l’épauler. Dans très peu de temps, elle sera majeure, mais elle reste malgré tout une fille sensible. Dis-lui que je suis fière d’elle, fière de l’avoir mise au monde, fière de ce qu’elle est et de ce qu’elle deviendra. J’ai confiance en son avenir, alors crois en elle également, et protège-la comme s’il s’agissait de ta propre fille.  
Je t’aime, sœurette, promets moi de ne jamais oublier ce que nous avons vécu ensemble.

                                                                                           22 novembre 2012 


LETTRE 19 – MATHIEU A …      

Mon cher cousin,
J’ai enfin trouvé l’occasion de m’expliquer avec Eleanor par rapport à la lettre qu’elle avait découverte l’autre jour. Maintenant qu’elle était plus ou moins au courant de mes sentiments, j’ai pu lui dire vraiment tout ce que je ressentais en face. Peu importe sa réaction, je me suis dit que je n’avais rien à perdre, alors elle sait maintenant tout ce que j’ai sur le cœur.
Suite à ma déclaration, El’ m’a expliqué qu’elle m’avait toujours vu comme un ami. Elle a probablement vu que j’étais déçu, alors elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit mot pour mot : « Tu es un gars formidable, je suis heureuse que tu sois mon meilleur ami, je ne suis seulement pas prête à me mettre en couple, encore moins avec toi. A vrai dire, tu plaisais beaucoup à ma sœur, et par respect pour elle, je préfère que nous restions amis ».  
Et juste à ce moment, le chaton que je lui avais offert nous a regardés tous les deux en miaulant et en se frottant contre nous, comme s’il essayait de nous réunir.
Il s’est approché d’Eleanor, et elle comprit alors quelque chose dans son regard : Mathy lui avait donné une sorte de permission. Eleanor lui sourit alors, puis la seconde d’après, la chaleur de notre baiser fit fondre tout le mal autour de nous.        
                                                                                        24 novembre 2012    


LETTRE 20 – JADE A …    

Ma réincarnation en chat aura été une belle aventure, et je suis sincèrement heureuse que ma sœur ait compris qui j’étais à ce moment là. Elle et Mathieu font un très beau couple, et peut-être que sans moi, ils n’auraient jamais réussi à se rapprocher. J’ai été une sorte d’ange gardien pendant ces quelques mois, et c’était vraiment une expérience agréable. Mais peu importe, je me dois plutôt de te raconter ce que les autres sont devenus.
Commençons par ma mère. Abattue, la maladie a fini par l’emporter, et elle est venue me rejoindre dans ce monde parallèle. Elle était comme prisonnière du malheur qui s’acharnait sur elle, et n’avait pas d’autre sortie que celle de la mort. Avant de mourir, elle a eu la force et le courage de dénoncer l’homme infâme qu’est mon père aux autorités. Il a eu ce qu’il méritait, puisque dans peu de temps, il ira en prison, et pour longtemps. Mais parlons plutôt de ce qui est positif. Puisque je connais l’avenir, autant t’en faire part avant que je parte rejoindre la lumière, comme si je n’avais jamais existé. Ainsi va la mort.        
Eleanor et Mathieu, pour bien des années encore, sont ensemble. Dans quelques temps, ma sœur deviendra dramaturge, et écrira ses pièces pour la troupe que Mathieu aura formée d’ici deux ans. Ainsi va la vie.      

                                                                                        13 décembre 2012 




mardi 27 décembre 2016

Vivre, tout simplement...

Parfois, j’aimerais être quelqu’un d’autre, non pas parce que je suis mal dans ma peau, mais parce que j’aimerais savoir ce que ça fait d’avoir une autre vie.  

Le monde est un lieu dans lequel vivent des personnes si variées. Notre passé, notre culture, nos traditions, notre façon de penser, nos goûts, nos capacités… innombrables sont les facteurs qui différencient un individu d’un autre, et pourtant on ne s’en rend pas assez compte. Ce serait une expérience pleinement enrichissante de pouvoir ressentir tout ce qu’un autre individu éprouve, qu’il soit opposé à nous ou qu’il n’ait que quelques différences.

Imaginez juste un instant être dans la peau de quelqu’un d’autre, même quelqu’un que vous connaissez bien, votre mère, votre frère ou votre meilleur ami… imaginez juste ce que cette personne peut ressentir dans la vie de tous les jours, que ce soit physiquement ou sentimentalement, imaginez tout ce que ça change d’être du sexe opposé, d’avoir d’autres capacités physiques, d’autres capacités intellectuelles ou même ce que ça change d’avoir grandi dans un autre lieu ou à une autre époque.

J’y pense sans cesse, je me dis que ma vie aurait été tellement différente avec un petit détail en plus ou en moins. J’aurais vécu des choses totalement différentes si je n’avais pas été asthmatique, ma vie aurait peut-être pris un tout autre tournant, tout comme j’aurais pu être une autre personne en ayant grandi dans une ville au lieu d’un village. Notre vie est remplie d’une infinité de facteurs qui ont le pouvoir de tout changer, aussi minimes soient-ils… n’est-ce pas fascinant ?

Alors imaginez : si les vies de tous ces individus qui vivent pourtant dans un même pays, dans les mêmes conditions, avec des capacités et connaissances similaires… si ces individus ont en fait vécu des choses si différentes : alors à quoi ressemble le gouffre entre la vie d’une personne comme toi et moi - qui a grandi dans un milieu assez riche par rapport au reste du monde, accro à la technologie, qui ne manque ni de nourriture ni de services publiques et sanitaires – et une personne qui n’a toujours connu qu’une vie saine, proche de la nature, dans un pays loin de nos richesses, peut-être même plus chaleureux ?


J’aurais aimé connaître une vie comme celle-là, par curiosité, pour voir ce que ça fait de vivre sur une île, dans une petite cabane entre la mer et la forêt, dans un village de pêcheurs ; connaître un tas de choses sur la nature ; ignorer l’existence de toutes les nouvelles technologies que l’on connait si bien ici ; vivre heureux sans richesse ; vivre dans un lieu où les relations humaines sont primordiales ; vivre, tout simplement…


lundi 26 décembre 2016

Passé, présent, futur...

Il y a trois types de personnes : certains vivent dans le présent, d’autres dans le futur, et les derniers – comme moi – dans le passé.

Ceux de la première catégorie représentent vraisemblablement la majorité d’entre vous. Vivre dans le présent, c’est profiter uniquement de l’instant sans se poser de question, c’est ne pas avoir à se soucier du lendemain ni être retenu par les regrets du passé. Vivre dans le présent, c’est vivre, tout simplement, c’est pourquoi j’envie beaucoup ces gens-là qui savent prendre chaque opportunité, chaque moment pour en profiter au maximum, ces gens-là qui savent vivre heureux au jour le jour.

Le deuxième groupe de personnes représente aussi grand nombre d’entre vous, il s’agit de ceux qui savent aussi profiter de l’instant présent mais qui ne peuvent s’empêcher de penser aux conséquences de chacun de leurs actes, et ceux qui – chaque jour – imaginent ce que sera demain et agissent pour s’assurer un futur confortable. Ces gens-là aussi sont admirables car ils permettent la construction d’un avenir meilleur, pour eux comme pour autrui.

Et à mon grand regret, je fais partie de ceux qui ne peuvent ni totalement profiter de l’instant présent ni totalement évoluer dans l’avenir qu’ils se sont construit, car ils restent enfermés dans leurs souvenirs. C’est parfois handicapant de faire partie de ces gens-là car on passe notre temps à être nostalgique, à se remémorer les bons comme les mauvais souvenirs, à souffrir parce qu’on sait pertinemment que plus rien ne sera jamais comme avant.


Je ne suis pas malheureuse, j’ai juste du mal à profiter de ce foutu présent qui pourtant se présente à moi comme une opportunité d’évoluer. Je vis dans un monde à la fois rêveur et nostalgique, je suis à côté de la réalité, sans cesse, et on me l’a déjà reproché, on m’a déjà dit que ça ne me mènerait jamais au bonheur, mais à chaque fois, j’ai répondu que je ne savais pas comment faire autrement. Je passe mon temps à penser soit au passé, soit à un futur qui reprend des éléments de mon passé et qui ne peut donc pas exister…


jeudi 13 octobre 2016

Nostalgie...

Je passerai toute la nuit à écrire s’il le faut, car mon esprit refusera de s’éteindre avant d’avoir partagé ces quelques mots…               

J’ai passé des heures à regarder ces photos de vous, j’ai toujours souri en les voyant mais ce soir, mes larmes n’ont pas pu se retenir. J’ai déjà ressenti le manque d’une seule personne, mais jamais autant  à la fois, et jamais à ce point.          
Mes yeux parcouraient les nombreuses photos affichées sur mon mur et s’arrêtaient toujours sur les vôtres, ces images qui me rappelaient tant de souvenirs. Chaque jour, des lieux, des paroles, des musiques et un tas d’autres choses ont le don de me rendre un peu plus nostalgique… mais ce soir j’ai craqué. J’ai cru pouvoir garder ce manque enfoui en moi, mais je ne supporte plus d’en souffrir en silence.
J’ai repensé à ces nombreuses fois où l’un venait me consoler, l’autre m’écoutait attentivement me confier, l’un me donnait des conseils et une autre me rassurait. Vous avez tous été là pour moi, et ce soir j’aurais aimé vous avoir à mes côtés pour vous dire combien je vous aime. Quand j’y pense aujourd’hui, je réalise que je ne vous l’ai pas assez dit, j’aurais voulu vous le montrer davantage, je regrette de ne pas avoir assez profité de certains moments. J’ai laissé passer plein de belles occasions, je voudrais tellement retourner en arrière pour revivre ces moments et les embellir encore. Mais j’ai laissé passer ma chance, j’ai laissé des amitiés faner, et je le réalise quand je repense à des souvenirs qui me semblent lointains ; un mois, six mois, deux ans tout au plus ont suffi à laisser nos relations s’estomper. Et quand je repense à ces souvenirs, je ne parviens même plus à me persuader qu’ils sont réels, qu’ils ne sont pas le fruit de mon imagination. Ça me fait du mal, car je sais que peu importe s’ils sont réels, ils ne sont plus qu’une vague illusion dans mon cœur. 
Un jour, j’ai dit à l’un d’entre vous « J’ai toujours eu un monde entre le rêve endormi et la réalité. Tous les jours, j’imagine des scènes avec des personnes que j’apprécie, je réécris ma propre histoire, j’ai toujours vécu en laissant fleurir dans ma tête des images de la vie que j’aurais aimé savoir réelles… c’est comme nécessaire à mon bonheur ». Je m’étais trompée. Ce n’est pas nécessaire à mon bonheur. Ce n’est pas votre souvenir ni l’image que je me fais de vous qui sont censés me rendre heureuse, mais vos réelles présences. Aujourd’hui ça m’attriste parce que je n’arrive plus à distinguer ce que j’ai réellement vécu avec vous de ce que j’ai simplement imaginé, et mes rêves éveillés ne m’apportent plus que larmes et nostalgie.   
   
Je crois que c’est votre absence qui me rend malade…               
#JoliesMômes #A #M #G #A #A #T

mercredi 25 mai 2016

L'onirie du sort

Bonjour à tous !
Aujourd'hui, je voulais vous faire part d'une nouvelle que j'ai écrite il y a un an. En réalité il y en a deux (la deuxième a été écrite par une amie), mais il s'agit de la même histoire. Vous comprendrez mieux en lisant ! J'ai pour projet de réécrire ces deux nouvelles de A à Z et de les assembler pour en faire un roman. Cependant, si je pouvais avoir des avis pour savoir ce qui va ou ne va pas, ce qui n'est pas cohérent, peu compréhensible, ce qu'il faut modifier, garder, supprimer... ça me serait bien utile ! Alors je remercie d'avance les quelques personnes qui voudront bien me conseiller. Toute critique est la bienvenue !



L'onirie du sort

Chapitre 1 : Set fire to the chocolate

            Nous étions au mois de septembre.      
            Les flocons de neige s'agitaient déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle dans laquelle je me trouvais.
            Je n'avais pas l'habitude de voir, à cette période de l'année, les paysages se recouvrir de flocons d'une blancheur pareille au lait. Mais je me réjouissais d'avance, car cette fine neige me rappelait le joyeux mois de décembre, la période que j'attendais chaque année avec impatience : lors des fêtes de fin d'année, je me sens toujours heureux et fier d'exercer mon métier.     

            Je suis chocolatier créateur depuis presque aussi longtemps que le péché de la gourmandise existe. Enfant déjà, lorsque mon père tenait la boutique de la chocolaterie Dousset, je prenais un plaisir fou à imaginer quelles nouvelles saveurs les amateurs de chocolat pourraient apprécier, quelles formes surprenantes il était possible de donner à cet aliment. Mais par dessus tout, je savourais chaque copeau de chocolat qui m'était offert. C’est de tout ce que m'a inculqué mon père qu’est née cette admiration, cette passion pour le chocolat. Ainsi, comprenez que je trépigne d'impatience à l’idée de vendre des milliers de chocolats à des clients émerveillés à la fin de l'année !

            Mais revenons à ce mois de septembre.

            Les flocons de neige s'agitaient déjà à l'extérieur et venaient mourir sur les vitres de la salle dans laquelle je me trouvais. A l'intérieur se déroulait une conférence sur les bienfaits du chocolat. Sur les murs étaient accrochés de nombreux tableaux, au travers desquels coulaient toutes sortes de chocolats, comme s’ils cherchaient à s’évader des paysages sucrés qui y étaient représentés. Ces tableaux, telles des fontaines, laissaient s'échapper des litres entiers du meilleur aliment du monde, mais personne ne semblait s'inquiéter de l’étrangeté de la situation.      
            Nous devions être une trentaine à assister à la conférence qui était donnée par deux chocolatiers confiseurs. Parmi les spectateurs se trouvaient ma femme, Victoria, et ma fille de quinze ans, Magalie, qui avait longuement insisté pour nous accompagner et assister à cet événement. Cependant, je ne me souviens plus exactement de ce qu’il s’y est dit…
Mais je ne vois pas l’intérêt de m’attarder sur ce détail : la suite est bien plus étrange.

            Plus tard, lors de la logorrhée de l'un des conférenciers, je remarquai, deux rangs devant moi, un nourrisson qui m'avait l'air peu ordinaire. Je n'y prêtai pas réellement attention, absorbé par les paroles insensées du chocolatier. Mais je finis par le regarder à nouveau : quelque chose de louche semblait se tramer.
            Tout à coup, j'ouvris grand les yeux.
            Le bébé grandissait à une vitesse considérable : d’abord son visage s’affina et ses cheveux poussèrent, devinrent presque noirs. Sa peau lisse de bébé innocent devint alors boutonneuse, impropre et visiblement rugueuse. Puis tout le reste de son corps suivit. Le spectacle était indescriptible. Il avait atteint, en quelques secondes, une taille presque adulte ! Ses yeux d'adolescent me fixèrent alors, et je sentis dans cet être anormal un sentiment de partage, comme une once de compassion. J’avais l’impression qu’il voulait s'excuser d'un événement dont je ne connaissais pas la source. Je ne savais pas qui était cette personne surnaturelle, ni ce qu'elle me voulait, mais je priais pour qu'elle ne m'approche pas, et reste loin de Victoria et Magalie. 
            A ma grande surprise, le jeune homme détourna son regard, s'éloigna d'un mètre, puis de deux, jusqu'à ce qu'il atteignît l'un des murs de la salle. Le reste du public ne semblait pourtant pas s'étonner de ce phénomène. Je devais être l'un des rares à craindre ce qui allait suivre. L'adolescent scrutait le tableau en face de lui d’où coulaient encore des litres entiers de chocolat qui avaient déjà atteint les pieds des premiers spectateurs.
            Il se produisit alors quelque chose qui m'échappa.
            L'adolescent sortit un briquet de sa poche, l'alluma. La flamme s'approcha dangereusement du chocolat et, en quelques secondes, le feu passa d'un tableau à l'autre, encerclant la salle de flammes gigantesques. Le public, enfin conscient qu’un drame se produisait, commença à s'affoler : des cris retentirent d'un bout à l'autre de la salle, et le jeune homme disparut.
            Vertiges.       

***

            Sursaut ! Lumière ? Réflexion... Ah, rêve !       
            Je vérifiai que ma femme était bien à côté de moi dans le lit. Je fus rassuré de savoir que je venais seulement de vivre un rêve ridicule. Victoria dormait encore.
            Sans aucun bruit, j'enfilai mes pantoufles et me dirigeai vers la fenêtre : aucun flocon de neige, tout allait bien pour un mois de septembre.     

            Je suis Tomy Dousset, et je vis dans le monde du chocolat depuis mon enfance.
            Ma femme, Victoria, et mes trois enfants s'occupent de la chocolaterie Dousset avec moi quand ils en ont le temps. Ma première fille, Magalie, a quinze ans et est déjà très mature pour son âge. Elle a le sens des responsabilités, et je suis plutôt fier d'elle. Lisa, ma seconde fille, douze ans, rentre tout juste dans la crise d'adolescence. Elle se rebelle un peu, et pense parfois être la reine du monde, mais rien de bien méchant pour le moment... Et puis nous avons notre petite merveille, Benjamin. Mon fils a eu six ans le mois dernier, et est très attaché à sa mère. Celle-ci se voit pourtant contrainte de laisser Magalie s'occuper des deux cadets lorsqu'elle travaille sur ses projets d’écriture qui lui tiennent généralement beaucoup à cœur. Car, en plus de s'occuper de la boutique, Victoria est aussi traductrice d'édition depuis deux ans maintenant. Lorsqu'elle est dans son bureau, il est préférable de ne la déranger sous aucun prétexte, mais son travail autonome lui permet de nous consacrer beaucoup de temps, aux enfants et à moi.
            Nous sommes à nous cinq une famille heureuse, et on ne peut plus ordinaire.

            Mais jamais je ne me serais douté de toute l'aventure que j'allais vivre.   





Chapitre 2 : Feuer frei

            Si vous associez le terme « banal » à « monotone » ou encore à « ennuyeux », alors je ne pourrais vous affirmer que la journée où tout a commencé était au départ banale.
            C'était pourtant une journée splendide, comme toutes celles qui avaient défilé dans ma vie jusque là.     
            Magalie venait de rentrer du lycée, et Victoria était allée chercher Benjamin à l’école primaire, quelques rues plus loin. C’était jusqu'à présent un jour des plus normaux : ma femme avait passé toute la journée dans son bureau, pendant que je m’occupais de la vente de mes tendres chocolats.
            Et je ne me lassais pas de ce quotidien.           

            - Dis papa, on peut utiliser les bougies ?         
            Ah oui... Lisa était restée à la maison aujourd'hui, prétextant une obscure maladie, comme chaque mercredi depuis la rentrée, pour la simple raison qu'elle voulait rester dans sa chambre pour jouer avec sa meilleure amie, Luna qui, elle, avait la chance de ne pas avoir affaire au « supplice scolaire », comme Lisa le disait si bien.
            Naïfs et attachés à nos enfants comme nous le sommes, cela faisait déjà trois fois que Victoria et moi acceptions qu'elle reste se reposer. Mais peu importe, je sévirais mercredi prochain.       
            - Lisa, je t'ai déjà dit que maman ne voulait pas qu'on touche aux bougies avant Noël ! Allez vous amuser ailleurs, j'ai du travail...   

            Cet après-midi-là, c'était pensif que je vendais mes chocolats aux clients.
            Mes rêves de la nuit passée tournaient encore dans ma tête. Il était à vrai dire impossible de ne faire aucun rapprochement entre mes fabrications et les cascades de chocolat de mes songes nocturnes.
            Heureusement, Magalie était là pour m'aider à tenir la boutique.   

            - Papa, Luna et moi on vient de faire une grosse connerie !
            - Lisa, ton langage !           
            - Mais papa, viiite, c'est urgent !  
            Inquiet, je décidai de laisser la boutique à Magalie quelques instants pour aller voir ce que Lisa avait encore fait.
            Ma fille me conduisit jusqu'à sa chambre et... 
            Horreur, catastrophe !       
            Rideaux, feu, bougies...   
            Ma fille m'avait encore une fois désobéi, mais je n'aurais jamais imaginé qu'elle allât jusqu'à mettre le feu aux rideaux !           
            Encore une fois, mon rêve me revint en mémoire : était-ce un rêve prémonitoire ? Peut-être quelqu'un avait-il programmé de mettre le feu chez moi suite à ce rêve...
            - Papa !!        
            Stop la paranoïa !
            Je me réveillai soudain de mes songes. Je fus inconscient de ce qui se passait autour de moi pendant quelques secondes, mais heureusement pour moi, pas assez longtemps pour que le feu se propageât dans toute la pièce.    
            Paniqué, je pris avec une force herculéenne l'aquarium du couloir, et aspergeai les rideaux d'eau.
            Par chance, le feu était encore faible, et quelques seaux supplémentaires me suffirent à l'éteindre totalement...       
            - Putain, mais Lisa, bordel, t'en as pas marre de tes conneries ?!   
            - Mais c'est la bougie qui... enfin quand Luna... j'ai... le rideau... poissons...       
            Ma fille se mit à sangloter.
            Je la pris alors dans mes bras, et essayai de la calmer. Je savais qu'elle était désolée, mais il fallait à tout prix que j'arrête de me laisser marcher dessus par une enfant de douze ans ; elle avait failli nous tuer !   
            Les poissons, pour la plupart morts, étaient étendus sur le sol, au pied des rideaux maintenant inexistants, mêlés à de l'eau, de la cendre, et de la cire qui avait coulé de la bougie criminelle. Un seul poisson gigotait encore au sol, mais avant même de pouvoir le remettre à l’eau, je vis ses mouvements faiblir, jusqu’à ce que l’animal rende enfin l’âme... Ma femme allait beaucoup m'en vouloir ! Qu'allais-je faire de ces petites bêtes maintenant ? Je n'allais tout de même pas les jeter... Les manger peut-être ?           
            - Pour les poissons... n'hésitez pas à les manger ! me dit Luna. Ma maman dit souvent qu'ils développent l'imagination, et que ceux qui vivent en aquarium font faire de beaux rêves à leurs consommateurs.     
            Mais c'est quoi cette petite aux idées haut perchées ? Elle lit dans mes pensées ou quoi ?!  

            Une fois cette fin d'après-midi mouvementée terminée, Luna rentra chez elle. Suite à l'explication que je dus donner à Victoria sur l'incident et les poissons morts, qui ont en fin de compte terminé dans la gamelle du chat de Luna, l'ambiance fut pesante tout au long de la soirée.   
            Ma femme, préférant travailler sur ses projets d'écriture après avoir bordé les enfants, me laissa en plan.
            Je suis alors parti me coucher seul, épuisé par ces dernières heures.     

            Mais c'était bien naïvement que je m'imaginais que tout serait achevé après une bonne nuit de sommeil.       



Chapitre 3 : Mais le sommeil ne le sait pas...    

            Mon esprit fut particulièrement tourmenté cette nuit-là.        
            Si je me souviens bien, mon rêve avait commencé devant la maison de mes parents.
            J’ignore pourquoi, mais mon corps refusait de rentrer chez eux, alors j’attendais bêtement devant la porte, en chantant She's like heroin
            A l’intérieur de la maison, j’entendais ma mère dire à mon père « George, va chercher Mory avec la voiture de police à l’école, s’il te plaît, et emmène la sonnette avec toi ! ». J’avais envie de rire en entendant ces propos insensés ! A ma connaissance, mes parents n’avaient jamais connu personne se nommant Mory.       
            Je me suis soudainement retrouvé dans un quartier délabré de la ville, dans lequel un homme qui semblait sans visage criait « Fishy, va chercher ! ». A ces mots, un poisson rouge haut d’une dizaine de mètres surgissait de derrière les vieilles bâtisses endommagées, et courait sur ses nageoires en direction d’un petit groupe d’adolescents en uniforme ridicule. La créature les regardait fixement sans s’arrêter de courir, et finit par les gober dans un bruit répugnant. Luna, l’amie de Lisa, intervint alors, une bougie à chaque main, et cria au poisson : « Viens là, que je te réchauffe les nageoires, ou tu finiras dans la gamelle de Mystègri ! ».  
            A ces mots, un sursaut provoqua mon réveil.  

            Il m'arrivait très souvent de rêver, mais ce songe-là était le signe du début d'une série d'aventures surréalistes et toujours inexplicables.   
            Dans un premier temps, en repensant au rêve de la nuit passée, je ris de l'absurdité de mes songes, en me disant que je devais avoir une sacré imagination pour en arriver à rêver de poisson géant et d'homme sans visage.
            Mais au fil de la journée, mon inconscient nocturne me semblait de plus en plus inquiétant. Je me disais que certains de ces éléments oniriques n'étaient pas là par pur hasard, et qu'ils signifiaient probablement quelque chose.
            Cependant, à ce moment, cette hypothèse avait encore peu d'importance dans le flot de ma vie...           

                                                                                  ***

            Bureau des rêves, dix-neuf heures et trente-sept minutes, la veille.         
            - Un autre bébé Mory ?     
            - Non, l'aquarium mortel ! 
            - Bébé Mory qui se noie dans l'aquarium mortel !       
            - Faites-le plutôt se faire dévorer par un poisson ! Un poisson géant !      
            - Non, pas Mory ! Les quatre gamins qu'il a croisés tout à l'heure ! Mangés par un poisson géant !           
            - Ou la mort de Lisa !         
            - SILEEEENCE ! On ne touche pas à Lisa, Luna me l'a interdit. Et je ne veux pas écrire un rêve qui rejoigne celui de la nuit dernière, alors pas de bébé Mory, les gars.   
            - Mais... Rowena, il faut bien que Tomy rêve de lui chaque nuit et le rencontre un jour, vous l'avez dit hier !        
            - Tomy ne rêvera pas de Mory bébé. Quelqu'un a une idée ?         
            - Maman ? Cet après-midi, j’ai vu Mory devant la maison de ses parents, il avait l'air particulièrement perturbé... peut-être que le père de Lisa peut rêver aussi de la maison... et de Tomy.           
            - Je suis d'accord avec la gamine. Qui vote pour l'apparition de la maison ?       
            Le vote fut unanime : toutes les mains, y compris celle de Rowena, se levèrent.
            Encore une petite demi-heure et la communauté des rêves avait fini de préparer ce dont Tomy allait bientôt rêver.  

                                                                                  ***

            - Monsieur ? Tomy, houhou ?...  
            Encore une fois, mon esprit était ailleurs, et je n'arrivais plus à assimiler ce qu'il se passait autour de moi. Ma tête était encore dans mon rêve, devant la maison de mes parents. 
            Je tenais seul la boutique à ce moment là, et Luna, en face de moi depuis un certain temps, me faisait des signes, mais je n'avais rien remarqué.      
            - Oh, excuse-moi, Luna, j'étais... ailleurs. Tu es là depuis longtemps ?     
            - Non, non, je viens juste d'arriver. Lisa est ici ?         
            - Victoria et moi l’avons punie suite à sa bêtise d’hier.          
            - C’était de ma faute… j’ai voulu prendre les bougies pour faire une séance de spiri… euh… enfin, je voulais m’amuser un peu avec Lisa, mais ça a mal tourné… ce n’est pas de sa faute. Vous pourrez lui donner ça de ma part ?        
            Elle me tendait une boîte, en me disant que c’était sa mère qui avait tenu à l’offrir à Lisa, et en m’assurant que ce n’était pas dangereux et que cela lui ferait sincèrement plaisir. Il s’agissait de bâtonnets d’encens.
            Un flash me vrilla alors la tête.
            Et instantanément, je me souvins d’un passage de mon dernier rêve que j’avais jusque là oublié.           

***

            Après ces aventures dans ce quartier délabré dans lequel de nombreuses choses incohérentes s'étaient passées, j’étais dans une pièce sombre qui sentait l’encens à plein nez. Elle ressemblait étrangement à la demeure d’une voyante. Beaucoup d’accessoires peu rassurants s’y trouvaient : miroirs, boules de cristal, poupées vaudous…           
            La porte s’est alors brusquement ouverte.       
            Je craignis qu’une sorcière n’apparaisse, le balai à la main, le rire effrayant, le physique épouvantable…      
            Mais il ne s’agissait que d’un homme, dont le corps et le visage étaient couverts de débris de miroirs. Je ne voyais qu’un reflet déformé de moi en le regardant.            
            Une femme est alors apparue de nulle part, elle nous fixait tous les deux. C'était une belle et grande femme. Elle était envoûtante, hypnotisante même. Ses deux grands yeux verts me fixaient avec une douceur intriguante. Elle se tourna ensuite vers l'autre homme. Je remarquai  sa longue chevelure noire qui ondulait sur ses épaules : elle était étincelante.    
            L’homme-miroir avait l'air de penser la même chose que moi sur cette sublime créature. Elle me faisait penser à quelqu'un, mais je ne me souvenais pas à qui. Peu m'importait, c'était une femme ravissante.   
            L'homme et moi nous retrouvâmes tout à coup à coté de la maison de mes parents. La femme n'était plus là, et nous l'avions déjà probablement oubliée. Il me semble qu'ensuite, je sautai inexplicablement sur le dos de l'homme aux débris de miroir, comme pour le mettre violemment à terre.           
            Nouveaux vertiges.

                                                                                  ***

            C’était après cette chute que je me réveillai.    
            Luna ! C'était à elle que me faisait penser la femme dans cette salle ! Probablement une coïncidence... A moins que cette enfant me rende dingue !
            En revanche, ce qui me perturbait, c'était la double apparition de la maison de mes parents cette nuit-là. A vrai dire, je refusais de croire que ce n’était qu’un simple hasard.       
            Mes rêves étaient de plus en plus étranges depuis peu, je finissais par me sentir malade d'y accorder autant d'importance, mais les oublier était au dessus de mes forces. J'avais l'impression que mes songes avaient une influence grave sur mon quotidien, comme si ces rêves qui me laissaient chaque fois à l'ouest changeaient la personne que j'étais. 
            C'est par ce raisonnement que je me dis qu'il fallait à tout prix que j'aille voir mes parents, c'était comme si mes songes m'appelaient à le faire...          




Chapitre 4 : Le début de la fin  

            Bureau des rêves, seize heures et vingt-quatre minutes.     
            Les membres du conseil chuchotaient dans la salle. Ils attendaient impatiemment le retour de Rowena et sa fille. Autour d'eux, les boules de cristal et les vieux livres de magie se recouvraient de poussière.    
            La porte s'ouvrit alors d'un mouvement sec et rapide, tous sursautèrent, la poussière vola, et Rowena, suivie de sa fille prononça ce que chacun souhaitait entendre.
            - Notre mission touche à sa fin mes amis ! Luna vient de me rapporter que d'ici quelques minutes, Mory rencontrerait enfin George et Sandra ! Et ce n'est pas tout : grâce aux fabuleux rêves que nous avons créés ensemble, Tomy a lui aussi décidé de voir ses parents pour éclairer ses doutes sur son état d'esprit !    
            Euphorie dans la salle, l'ensemble du conseil des créateurs de rêves fut soulagé et fier d'être parvenu au bout de cette mission. Rowena rétablit le calme.          
            - Évidemment, notre espionne, ma chère fille Luna, devra s'assurer que tout se passe bien lors de cette rencontre, et nous rapporter tout ce qui a été dit ! Mais ne vous en faites pas, ce n'est qu'une affaire de quelques minutes ! Luna, maintenant tu peux y aller. Mory arrive à 16h31, Tomy à 16h48, n'oublie pas !          
            Et la fillette, avec un sourire malicieux, fila droit vers la maison de George et Sandra Dousset.

                                                                                  ***

            Marchant, courant, volant vers la maison des vieillards, Luna continuait fièrement son devoir d'espionne. Arrivée devant la clôture, elle regardait l'heure. 16h30. Elle voyait déjà au loin la silhouette de Mory se diriger vers la maison.          
            L'enfant se cacha vite, discrètement, dans un buisson, en attendant que Mory n’entre.          
            Driiiiing.
            « … que me vaut le plaisir de ta visite ?» ; George accueillait poliment Mory, tout se passait comme prévu.         
            La porte se referma sur les deux hommes, et Luna se rapprocha de la fenêtre ouverte pour mieux entendre.
            - … j'aurais besoin d'un peu d'argent.
            - … je ne vais sûrement rien refuser à mon cher fils !
            - … il me manque encore au moins treize mille pour que mon projet soit accepté...
            Soudain, Luna vit apparaître Sandra s'approchant de la maison, rayonnante, un sac de marchandises à la main. Paniquée, la fillette revint rapidement vers le buisson pour ne pas se faire découvrir. La vieille dame passa à côté de l'enfant sans s'apercevoir de sa présence, puis elle ouvrit la porte d'entrée.         
            Quelques secondes plus tard, Luna entendit un bruit sourd. Quelque chose avait frappé le sol.           
            - M... M....  Mory ?! C'est bien toi ?
            - … c'est de la folie !
            - … George, je crois qu'il vaut mieux lui dire qui nous sommes. Il a le droit de savoir.
            Luna allait enfin assister à ce que le conseil des rêves attendait depuis des jours !      
            16H42.
            L'espionne observait tous les côtés de la rue pour ne pas rater l'arrivée de Tomy, tout en écoutant attentivement le discours que Sandra adressait à Mory.       
            Puis elle entendit un cri, croyant d'abord qu'il s'agissait de l'un des deux vieux, ou de Mory. Mais il s'avérait que ce cri provenait de quelques mètres à côté, dans la rue. Curieuse, Luna regarda discrètement plus loin, mais elle ne vit rien. Ni à droite, ni à gauche ne se trouvait qui que ce soit. Le silence était revenu et la jeune fille reprit son écoute attentive du discours de la vieille dame.          
            16H45. Plus que trois minutes, et Tomy arriverait. Plus que trois simples minutes, et sa vie changerait. Plus que trois petites minutes, et Mory saurait tout ce qu'il aurait dû savoir depuis bien longtemps. Plus que trois courtes minutes, et...          
            - Viens par là gamine, avant que je te bute.     
            - Ahhh ! Lâchez-moi, ahhrrrrrrgh !...       
            L'affreux homme avait plaqué sa main sur la bouche de Luna qui ne pouvait plus crier à l'aide. Il la sorti de sa cachette et l'emmena très vite dans un vieux véhicule, situé dans une rue sombre non loin de la maison. Il claqua les portes du coffre de la camionnette derrière lui, et pointa une arme à feu sur la jeune fille impuissante.    

                                                                                  ***
           
            Sur la route, mes mains tremblaient sans raison. Peut-être étais-je anxieux de retrouver mes parents que je n'avais pas vu depuis des mois, ou bien je sentais inconsciemment que quelque chose allait arriver.
            Il me fallait une réponse à toutes mes questions. Et j'avais l'impression que seule la visite à mes parents pouvait y répondre.         
            A quelques mètres du domicile familial, un énorme sachet de chocolats dans la main droite, une photo de Victoria, moi et les enfants dans l'autre main, j'appréhendai légèrement ces retrouvailles.
            Soudain, j'entendis un coup de feu tout près de là ou je me trouvais.      
            Puis un calme assourdissant suivit ce bruit sourd.    
            Une porte claqua, un moteur démarra, et le véhicule s'éloigna. C'est tout ce que je pus entendre de cette atroce scène.       
            Je repris alors mes esprits, m’efforçai de paraître calme, et activa la sonnette de la maison. Personne ne vint ouvrir. Oh et puis après tout... c'était aussi chez moi ! Je me permis d'entrer.         
            - Papa ? Mamaaaan ? C'est Tomy, vous êtes où ?     
            Mon père arriva en traînant des pieds face à moi, tout tremblant, les larmes aux yeux. Il semblait faible.
            - Il faut qu'on te présente quelqu'un...   
     Il m'accompagna au salon, où je découvris un homme qui me ressemblait étrangement, étendu sur le sol, mort.






Réveil difficile


Me revoici dans cette pièce étrangement familière. Est-ce que je tourne en rond ? Je l’ignore.
Malgré l’obscurité du lieu, une odeur merveilleuse m'emplit les narines. Sucrée, chaleureuse et enivrante, je peux reconnaître l’odeur de la confiserie la plus voluptueuse qui soit: le chocolat.
Autour de moi se trouvent des dizaines et des dizaines de portraits qui  représentent les mêmes personnes : des parents peut-être ...      
Soudain, un mouvement sur ma droite attire mon attention. 
Un homme me fait face.   
Je l’entends murmurer des paroles que je ne comprends pas.
Il s’approche de moi, et lorsqu’il n'est plus qu’à quelques mètres, une peur m’envahit. Cet homme n’a pas de visage... Et pourtant j’ai l’impression de le reconnaître. Ses murmures devenant plus audibles, je peux enfin comprendre le message qu’il veut me transmettre. L’homme sans visage me dit : « Je te cherche et je vais te retrouver ».
Une nouvelle peur m’envahit, se propageant dans tout mon corps. 


Paniqué, Mory se réveilla en sursaut.
- Calme-toi, ce n’était qu’un rêve, songea-t-il.
Pourtant, tout en reprenant ses esprits, le rêve lui revint peu à peu en mémoire.
- Tout semblait pourtant si réel… mais qui pouvait être cet homme étrange ?!, se demanda-t-il.
Dans la journée, Mory tenta d'oublier ce rêve et continua le flot de sa vie comme il en avait l’habitude. Il alla d’abord voir son dealer pour se procurer une nouvelle dose d’héroïne (ses dernières provisions étant terminées depuis deux jours maintenant, il était gravement en manque… peut-être était-ce d'ailleurs ce qui l’avait conduit à ce rêve inhabituel ?).         
En rentrant chez lui, il passa devant un groupe de gamins habillés de la tête aux pieds de l'uniforme d’une école privée très réputée de la ville. Les quatre jeunes semblaient chercher leur route. Mory se dit que c’était l’occasion de montrer une fois de plus sa force et sa supériorité, alors que de sales bourges se pointaient dans son quartier. Il les suivit alors discrètement. Dans son « bled », comme il avait l’habitude de l’appeler, Mory ne tolérait pas que des inconnus provenant des beaux quartiers passent avec leurs voitures tape-à-l’œil, comme si le monde entier leur appartenait. Il se doutait bien que son agent de probation lui taperait sur les doigts pour l’acte qu’il allait commettre, mais c'était plus fort que lui. 
Car oui, Mory avait fait de la prison pour avoir incendié volontairement la salle Sigmund Freud lors d’une conférence. Mais ce n’était pas tout : il avait également été accusé et emprisonné pour plusieurs délits assez importants, dont la liste était bien longue.         
Mory continua donc à suivre furtivement la bande de copains.   es pas s'accéléraient au fur et à mesure que son excitation grandissait. Mais bientôt, il fut ralenti dans sa course. Au coté des jeunes garçons se trouvait une voiture de police dans laquelle ils montèrent tous. Son plaisir disparut peu à peu pour laisser place à une grande déception.      

Décidément rien n’allait pour lui en ce moment : son dealer ne voulait plus rien lui donner tant qu’il n’aurait pas payé les doses précédentes, et il n’avait plus de travail depuis des mois. Il comptait donc sur les gamins du coin qu’il s’amusait à racketter pour se nourrir, ou sur les chariots de vendeurs de hot-dogs. C’était d’ailleurs devenu sa seule activité depuis quelques temps.    
Dépité, Mory repartit alors d’un pas lent en direction de sa petite maisonnée en piteux état. Il était loin d’être l’homme le plus riche ou le plus heureux du monde, mais il était satisfait de la vie qu’il avait menée jusque là, malgré cet état de manque constant.
Il ignorait lui-même ce qui lui manquait et encore plus que, bientôt, toute sa vie allait changer.
Mory passa par hasard devant la salle Sigmund Freud et ne put s’empêcher de repenser au violent incendie qui avait complètement ravagé la salle, alors que de nombreuses personnes s'y trouvaient. Ce jour là, sa vie d’homme cruel et malfaisant avait commencé. Il avait ressenti une envie irrésistible de voir un magnifique feu, dévorant tout sur son passage.           
Mais cette salle lui rappelait aussi le jour qui aurait dû être le plus beau pour lui, mais qui avait fini si tragiquement : alors qu’il venait juste de se marier, celle qui était sa femme depuis quelques minutes avait été victime d’une fatale crise cardiaque.
Mory ne s’était jamais remis de ce drame et avait commencé à sombrer. C’est à partir de ce jour que ses pas avaient commencé à croiser ceux de mauvaises personnes, celles qui en voulaient terriblement à la vie et souhaitaient se venger par des actes atroces.        
Il avait été comme guidé, incontrôlable, le jour où l’incendie avait été commis, mais par la suite, il s'était rendu progressivement compte qu’il avait été incroyablement heureux de voir ces personnes affolées courir, telles de minuscules fourmis dont on aurait détruit la fourmilière.
Ce fut son premier chef-d’œuvre.          
La salle réputée avait été évidemment reconstruite, et le juge avait strictement défendu à Mory Roussek d’y remettre les pieds.      
Un coup de vent le fit frissonner et mit fin à ses souvenirs. 
- Il fait drôlement froid pour une fin septembre… se dit-il. 
Comme il était près de midi et qu’il avait faim, Mory se décida à aller se chercher un truc à se mettre sous la dent. Tout en faisant demi-tour, il se dirigea vers le centre-ville. A cette heure, la plupart des vendeurs ambulants se trouvent sur les lieux d’affluence de ceux qui ne prennent jamais le temps de se reposer. Tout l’inverse de Mory.  
Mais soudain, quelque chose lui fit oublier sa quête de nourriture.
Une maison à laquelle il n’avait jamais fait attention auparavant, pourtant banale, l’intrigua.
Mory resta comme hypnotisé et ne bougea plus pendant de longues minutes. Cette maison lui semblait mystérieuse, il avait l’impression qu’elle cachait des secrets dont il avait besoin, l’impression que la maison l’appelait : la curiosité fut plus forte.
Montant lentement les marches de l’allée, il essaya de se rappeler si elle avait toujours été là. Une sensation indescriptible se propagea alors dans tout son corps, ce qui l’empêcha de faire demi-tour. 
Arrivé en haut du perron, la main tendue vers la sonnette, Mory fut subitement comme contrôlé à distance, incapable de rien faire,  ne parvenant pas à manifester sa présence aux habitants de la maison. Cette sensation nouvelle confirma son pressentiment : il y avait bel et bien une chose derrière cette porte, une chose que Mory cherchait depuis longtemps, une chose qu’il était temps qu’il découvre.

Puis, comme suite à une lutte acharnée, sa main retomba et Mory, perplexe, repartit, dubitatif face à ce qu’il venait de se passer.
Peut-être n'était-ce que le fruit de son imagination ?
Pendant plusieurs jours, Mory ne put s’empêcher de repenser à cette maison. Il n’avait pas eu le courage d’y retourner, bien qu'à plusieurs reprises l’envie lui eût fait prendre son manteau. Mais au dernier moment, il s'était à chaque fois ravisé.
Puis un jour, alors qu'il flânait comme à son habitude dans les rues, il entendit une vieille femme appeler son chat. Rien d’important ? Non, sauf lorsque celle-ci prononça ses paroles :
- Viens là, Mistigri, je te cherche et je vais te retrouver.
A ces mots, la voix de l’homme sans visage revint dans son esprit.

L’homme sans visage me dit : « Je te cherche et je vais te retrouver ».
Une nouvelle peur m’envahit, se propageant dans tout mon corps.  L’homme sans visage disparut ensuite dans un nuage de fumée, et je me retrouvai seul dans une pièce sombre.  
A ma droite, une porte s’ouvrit brusquement et je pus sentir une ardeur enivrante se propager dans la pièce. Dans l’entrebâillement, la lumière chaleureuse m’attira à l’intérieur.  La pièce, noyée dans une fumée noire et mystérieuse, dégageait une douce odeur d’encens, qui me procura une sorte de légèreté, comme si tous mes soucis s’envolaient. La pièce ressemblait à un cabinet de voyance : il y avait plusieurs boules de cristal, de vieux livres, des cartes, des poupées vaudou et d’autres accessoires peu rassurants. Un mouvement  me laissait penser qu'une personne était présente. C'était une femme à la longue chevelure bouclée d'un noir intense, aux grands yeux d'un vert pétillant, aux grandes boucles d'oreilles dont les spirales qui les ornaient étaient hypnotisantes. Me voyant debout et perplexe, elle me demanda alors d'attendre quelques instants avant de disparaître derrière une porte. Plus tard, la porte grinça et pivota lentement sur ses gonds. De nouveau l'homme sans visage me fit face, mais cette fois-ci, il ne disait pas un mot et fixait avec insistance tout en montrant quelque chose derrière moi. Je me retournai alors et vis avec effroi la mystérieuse maison qui m'intriguait depuis quelques jours. Puis sans prévenir, je sentis une violente secousse sur mon dos et la seconde d'après ma tête heurta violemment le bitume. Vertiges.

Sorti de ses songes, Mory remarquait que les passants l'observaient de haut. Déconcentré par ses souvenirs, il avait fini nez à nez avec le sol en trébuchant sur le trottoir.
Revenu à la réalité, Mory constata avec effroi qu'il se trouvait devant la maison de son rêve, cette fameuse maison qui l'avait tant bouleversé. Pris au dépourvu, le voyou ne se souvenait pas d'avoir emprunté cette rue : avant sa chute, il se trouvait dans le parc de la ville. Peut-être que pendant son flash-back, son corps s'était inconsciemment dirigé vers ce lieu inquiétant.
Mory n'en revenait pas, cette maison était présente partout : dans ses rêves et même durant la journée. Il devait découvrir ce que cette bâtisse avait à lui révéler et décida de le faire à l'instant-même.
Prenant son courage à deux mains, Mory se dirigea vers la porte de la maison avec une certaine appréhension.

Les secondes lui parurent interminables en entendant la sonnette résonner à l'intérieur. Ce fut un homme assez âgé qui lui ouvrit la porte et lorsqu'il le vit, le vieillard lui sourit et lui dit : « Tiens, Tomy, mon cher fils que me vaut le plaisir de ta visite ? Mais dis-voir tu as changé depuis la semaine dernière ! Est-ce que tu t'es battu pour avoir un œil au beurre noir ? » L'homme parlait sans que Mory ne puisse l'interrompre.
Confus, Mory mit quelques secondes avant de réagir. Tout fonctionnait rapidement dans sa tête : cet homme délirait complètement. Peut-être était-il atteint de l’Alzheimer, ou bien sa vue n'était plus tout à fait très nette, vu son âge...         
Il ignorait qui était ce Tomy, mais il avait une idée pour jouer de l'état du vieil homme. Voilà des années que Mory vivait dans la misère, alors espérant que le vieillard puisse lui donner naïvement un peu d'argent, il se fit passer pour cette personne imaginée par le vieil homme.
- Bonjour papa, comment vas-tu ? Ne t’inquiète pas pour mon œil je me suis... juste cogné dans une porte.
Le vieillard, n'y voyant que du feu, lui proposa alors de rentrer à l'intérieur. En regardant autour de lui, Mory se demandait pourquoi cette maison l’obsédait autant, mais il sortit immédiatement de ses songes pour se concentrer sur son plan machiavélique.

- Alors dis-moi Tomy, quelle est la raison de ta visite ? Victoria et les enfants vont bien au moins, tu n'as pas de soucis avec ton magasin ?
- Non, non, tout va bien ne t'inquiète pas pour ça. A vrai dire, je voudrais te demander un petit service, si tu es d'accord...
- Demande-moi ce que tu veux Tomy, tu sais très bien que je suis là pour aider mon fils !

Mory n'en croyait pas ses oreilles, cet homme croyait vraiment à un lien parenté entre eux ! Ce qui confirmait à Tomy que le vieillard ne devait pas avoir une très bonne vue, ni une mémoire exceptionnelle.           
Enthousiasmé par la réussite de son plan improvisé, c'est en toute confiance que Mory se jeta à l'eau :
- Disons que j'aurais besoin d'un peu d'argent pour... faire... euh... de nouveaux aménagements dans « mon magasin », termina rapidement Mory.
Le vieillard le fixa quelques instant et son sourire s'étira un peu plus sur son visage ridé.

- C'est bien la première fois que tu me demandes ça ! Mais je ne vais sûrement rien refuser à mon cher fils qui est le meilleur chocolatier de la ville ! Combien te faut-il ? 
- En fait, j'ai déjà un peu d'argent évidemment, mais il me manque encore au moins treize mille pour que mon projet soit accepté.

- Ah, treize, comme le jour de ton anniversaire !          Très bien, ne bouge surtout pas, je vais te faire un chèque. Si cela peut permettre à ta chocolaterie d'être encore plus populaire, on peut faire un petit sacrifice dans notre retraite, ta mère et moi.

Mory était sans nul doute l'homme le plus heureux en ce moment même. Son Noël était arrivé en avance cette année. Le vieil homme lui tendit le papier avec le sourire, Mory le prit sans une once de regret. Il ne pensait même plus qu'il était en train d'arnaquer cet attachant vieil homme. Il le remercia et lui dit qu'il ne pouvait rester plus longtemps.            
L'arnaqueur s’apprêtait à sortir de cette fameuse maison, encore persuadé qu'il venait de découvrir pourquoi elle l'avait tant attiré depuis ces nombreux jours.
Mais cette croyance que Mory avait jusqu'à présent changea lorsque la porte d'entrée laissa apparaître une joyeuse petite femme âgée, un sac de provisions à la main.

Au moment-même où ses yeux se posèrent sur le jeune homme, la femme lâcha soudainement son sac, dont le contenu s'étala dans le couloir. Son sourire s'effaça rapidement ; elle fixait Mory sans pouvoir le quitter des yeux. Un silence de plomb envahit la maison alors que Mory et la vieille femme se faisaient face. Mory ne comprenait pas, le regard de cette personne le dérangeait beaucoup, il aurait voulu fuir plutôt que rester en face de la vieille dame. Elle rompit alors ce calme interminable:

- M... M....  Mory ?! C'est bien toi ?

Le vieil homme, observant les deux autres personnes, regarda sa femme avec une lueur d’incompréhension. Au son de la voix de cette dernière, ils pouvaient ressentir son étonnement, mais aussi sa tristesse.
Mory était comme abasourdi par ce qu'il venait d'entendre. Cette femme connaissait son nom, mais lui ne l'avait jamais vue avant ce jour. Son esprit lui ordonnait de sortir en courant et de fuir le plus loin possible, mais son corps restait cloué au sol. Cela n'avait absolument aucun sens.

- Sandra, ma chérie, de quoi tu parles ? C'est Tomy, ton fils.

Le mari semblait déconcerté par sa femme.
Sandra décrocha enfin son regard de Mory et regarda son mari, silencieuse, les larmes aux yeux. Elle semblait incapable de parler, mais fit comprendre la situation par un regard à son mari. Celui-ci, qui venait de comprendre, écarquilla les yeux.

- Mais enfin ça n'a pas de sens. Sandra, tu sais très bien que nous avons laissé cette histoire derrière nous depuis longtemps maintenant. C'est de la folie !

- Je me nomme bien Mory, mais je vous avoue que j'ignore qui vous êtes et que je ne comprends pas vraiment ce qui se passe...

- Georges, je crois qu'il vaut mieux lui dire qui nous sommes. Il a le droit de savoir.

A ces mots, Sandra ordonna à tout le monde de se rendre dans le salon. George et Mory la suivirent. Mory n'arrivait pas à voir si la vieille dame était heureuse ou triste, son état était ambigu, mais il était persuadé que ce qu'elle avait à lui dire devait être douloureux pour elle.

En regardant le couple qui lui faisait face, Mory se rendit alors compte qu'il les avait déjà vus quelques jours auparavant, dans l'un de ses rêves étranges et incompréhensibles.

- Il y a 38 ans, une jeune femme a mis au monde deux bébés. L'un d'entre eux avait de graves problèmes de santé et avait peu de chance de s'en sortir. Afin d'éviter trop de souffrance, les parents ont décidé qu'il valait mieux ne pas créer de lien et ont laissé alors le pauvre enfant aux mains de la science. Le deuxième enfant a grandi dans l'ignorance de l’existence de son jumeau et a passé une vie sereine et pleine de réussite, au grand bonheur de ses parents. Même si les discussions sur le fils abandonné se sont faites de plus en plus rares, néanmoins la souffrance est toujours demeurée. Persuadés que le fils était mort depuis plusieurs années, la mère pensait à lui quelquefois et essayait d’imaginer  la vie qu'ils auraient eue tous les quatre. Quant au père, il avait été toujours aux petits soins pour le fils survivant et a fini par oublier son autre fils.  Ce n'est que 38 ans après cette douloureuse décision que l'irréalisable s'est produit. Aujourd'hui, lorsque tu as frappé à notre porte. Mory, nous t'avons cru mort pendant 38 ans mais nous voyons maintenant que notre erreur était immense. J’espère que tu nous pardonneras un jour et dans tous les cas, te revoir aujourd'hui est le plus beau cadeau qui ne nous ait jamais été offert.

Après ce discours touchant, Mory était comme paralysé par la nouvelle qui venait de lui tomber dessus. Soudain, ses parents devinrent flou et la pièce se mit à tourner. Le sol se rapprocha à vive allure et Mory resta inconscient.

Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Je me revois dans mon enfance avec mon frère jumeau. Mais... je n'ai jamais eu de frère, ni de sœur !  Je me souviens de la petite maison de mes parents dans la forêt avec ses longs couloirs d'un blanc immaculé, ses nombreux étages ou encore ses multiples fenêtres donnant sur la vie urbaine. Je revois très clairement le visage de mes géniteurs avec leur masque sur la bouche et leurs mains délicatement gantées, leur tenue toujours blanche et sans tache. Quelquesfois je me rappelle de moments qui ne m'appartiennent pas : mon père qui me chouchoutait en me comblant de cadeaux, les nombreux amis qui m'entouraient, mes études réussies, l'ouverture de ma chocolaterie et ma magnifique petite famille. Moi, Mory, je n'ai jamais pu goûter à ce bonheur. Je n'ai jamais compris d'où venait cette vie, la mienne me semblait séparée en deux. Je ne sais plus où j'en suis mais, quitte à choisir, je préfère rester enfermé dans ces souvenirs flous et inexistants...


George et Sandra étaient penchés au dessus de leur fils, qui gisait là, immobile et dépourvu de vie.